Abael et Kain


Chapitre 1

Réveillé par les cris, Abael sortit de son lit, alluma une bougie et entreprit de descendre l' escalier. Il sentit quelque chose de tiède étendu en travers des marches, juste avant de s' écraser quelques marches plus bas. Dans sa chute, la bougie s' était éteinte et il ne pouvait distinguer l' objet sur lequel il avait trébuché...

Ses yeux se posèrent naturellement sur la source de lumière la plus proche, la porte d' entrée, ouverte, laissant entrer les rayons de la lune. Et dans l' embrasure de la porte, il put distinguer une silhouette familière; celle de Kain, son frère, une épée sanguinolente à la main. A ses pieds, Abael pouvait maintenant voir le corps sans vie de son père...

Pris de panique, il tenta à quatre pattes de remonter les escaliers et heurat à nouveau la chose tiède, le cadavre de sa mère. Il n' eut pas le temps de crier; l' épée de Kain venait de le clouer aux marches, tel un insecte épinglé par un collectionneur...

Abael se réveilla en sursaut, le front ruisselant de sueur. Un cauchemar! Encore un! Comme chaque nuit depuis seize ans, depuis cette nuit maudite où il avait cru mourir. Instinctivement, ses doigts se posèrent sur son poitrail, effleurant la cicatrice que Kain lui avait laissée...
Qu' il soit damné! Abael n' avait depuis vécu que dans l' attente de sa vengeance. Armé de la hache de bûcheron de son père, il n' avait grandi que pour tuer son frère.

Kain avait depuis fondé la Guilde impie des Bestarius, de barbares serviteurs des Titans et c' est donc tout naturellement qu' Abael s' en était pris à ses membres. A force d' interrogatoire et de torture, il avait appris quelques choses intéressantes...

Ainsi, l' arme que portait Kain avait elle été forgée par le Titan Ortho, conférant à son porteur une puissance monstrueuse mais souillant son âme de Ténèbres. Il y' avait donc des années que Kain avait renoncé à son âme pour le pouvoir. Cependant, cette épée n' était pas la seule arme forgée par le Titan: Il y' en aurait mème des dizaines éparpillées de par le monde, certaines aux mains de guerriers de lègendes, d' autres abandonnées sur un champs de bataille, d' autres encore dans des reliquaires dédiés aux Titans. Et les Bestarius cherchaient ces armes démoniaques pour asseoir leur puissance...

Abael avait compris que pour trouver son frère, il devait trouver les Armes d' Ortho mais bien vite, ce ne fut plus lui qui traquait les Bestarius, ce furent ces barbares qui voulaient l' éliminer... Dans un sens, cela l' arrangeait: Chaque Bestarius qu' il tuait le rapprochait de Kain et de sa vengeance. Remballant sa tente, il but une rasade d' alcool de pin pour se réchauffer. Il n' eut mème pas une pensée pour les corps des huit assassins Bestarius qui brulaient derrière lui. La prochaine fois, peut-ètre comprendront-ils qu' il faut plus de huit hommes pour arréter quelqu' un qui n' a plus rien à perdre...

Chapitre 2 des chroniques: Iblis

Raska courait aussi vite que ses jambes le lui permettaient. Il fuyait à travers les ruelles sombres de Trusoley, se déplaçant de façon erratique, tel une proie fuyant un prédateur. Ce qui n'était pas si loin de la vérité...

Il arriva sur la place du marché, mais il faisait nuit noire, et le dernier étal était depuis longtemps fermé. Se dissimuler dans la foule aurait pu être une idée judicieuse. Hélas ! hormis un chien errant, Raska était seul. Mais pour combien de temps encore ? Rien n'est plus repérable qu'un homme seul sur une grande place, et c'était exactement ce que Raska voulait éviter. Ses jambes lui faisaient mal, et un douloureux point de côté mettait ses forces à l'épreuve...

Un bruit de pas. Comme si quelqu'un le poursuivait, ce qui était, d'une manière certaine, bien le cas. Fuir. Rien d'autre n'importait. Fuir ! L'air froid lui brulait la gorge, mais il continuait à courir comme un dératé. S'il s'arrêtait, Abael, le tueur de Bestarius le rattraperait et le décapiterait. Dans le meilleur des cas, il ferait ça vite, lui épargnant la séance de torture préliminaire. Mais Raska étant le dernier Bestarius de Trusoley encore debout... Tous les autres venaient de se faire massacrer, mutilés d'ignoble façon et leur sang souillait encore le plastron du fuyard...

Raska et une douzaine d'autres guerriers de sa Guilde avaient été envoyés dans cette ville afin d'y faire des repérages. Les Bestarius, c'est bien connu, vivent de pillages. Et la mise à sac de Trusoley faisait partie des plans inhumains de leur chef, le monstrueux Kaïn, guerrier dément s'il en est, dévoué corps et âme au Titan Ortho. Hélas pour Raska, Abael avait eu vent de cette ambition et s'était lancé dans une expédition punitive. Le pleutre Bestarius se souvenait de la façon dont la tête de Trakos, séparée de son corps, avait roulé sur le sol. Son dernier regard était empli de terreur et de souffrance, tandis qu'un rictus cauchemardesque lui avait déformé le visage. Et Raska voulait éviter ce sinistre destin... A force de courir en zigzags, au hasard des ruelles, il tomba sur un inconnu, lequel semblait vouloir lui bloquer le passage...

"Qui es tu, toi ? Laisse moi passer, cela vaudrait mieux pour toi..."

Le Bestarius sortait de ses bottes deux poignards d'estoc : des Katars. S'il avait d'Abael une peur bleue, il ne craignait en revanche que peu d'autres êtres humains, hormis Kaïn bien sûr -pour peu que l'on puisse le qualifier d'humain. Quoi qu'il en soit, il ne saurait souffrir tel manque de respect. Mais alors qu'il se jetait sur le misérable gêneur, il eut l'impression qu'on venait de lui frapper la poitrine d'un coup de poing...

"Qu'est ce que... que..."

Raska porta la main à ses flancs et, avec une surprise horrifiée, il vit que dépassait de sa chair un manche d'ivoire : le manche d'un Jambiya, un couteau des plus efficaces lorsqu'il est bien lancé...

"Qui... qui es-tu?"

Le Bestarius tombait, doucement. D'abord à genoux. Puis son corps se plia en deux et il bascula vers l'avant. Il toussa, le poumon perforé, et un glaviot écarlate jaillit de ses lèvres. L'étranger ne répondait toujours pas, regardant sa victime rampante, allongée dans son propre sang. Le Bestarius, malgré son état critique, insistait. Dans un gargouillis agonisant, il répéta :

"Qui es-tu?"

Pour toute réponse, le lanceur de couteau lui cracha au visage. Il sortit alors de sa manche un autre poignard et, d'un geste précis, fit glisser la lame le long de la gorge de Raska. Il s'écarta ensuite d'un bond, pour ne pas être éclaboussé par l'abondant liquide rouge qui en giclait... Quand le sang eut fini de couler, l'inconnu s'approcha du corps sans vie de Raska et le retourna du bout de la botte. Alors qu'il récupérait le Jambiya planté dans le poitrail du défunt, une voix grave se fit entendre...

"Iblis ? Tu as eu le dernier ?"

La stature imposante d'Abael plongeait dans l'ombre celle, plus frêle, du fameux Iblis... Il répondit, avec un accent bien rare par ici; un accent des terres du Sud d' Océania :

"Oui Abael... Je pense qu'on les a tous eus. Les treize "Enfants de Kaïn" envoyés en éclaireurs..."
"Alors viens. Nous n'avons plus rien à faire ici. J'ai réussi à en garder un vivant. On l'emmène et on l'interroge..."
"Puis on le tue ?"
"Bien sûr !"

Les deux acolytes trainèrent le dernier Bestarius en dehors de la ville. Après une bonne heure, ils arrivèrent enfin à un col montagneux, et Abael entreprit alors d'interroger le pillard. Un revers de la calleuse main du géant réveilla l'ennemi ligoté. Pendant ce temps, Iblis passait d'étranges objets métalliques dans les flammes, jusqu'à ce que les lames en prennent une teinte orangée, pareille à la couleur de la lave en fusion...

"Iblis, les outils je te prie..."

Le lanceur de couteaux tendit la lame chauffée à blanc au colosse. Mais il eut comme une hésitation, et son regard s'arrêta une seconde sur les yeux, puis sur la gorge d'Abael...

"Ami, il y'a un problème ?"
"Non... non... Ne t'en fais donc pas Abael. Rien que de très anodin..."
"Si tu veux, tu n'es pas obligé de regarder, tu sais?..."

Regarder, certes, rien n'y obligeait Iblis... Mais rien ne pouvait l'empêcher d'entendre les cris de douleur du supplicié. Et de sinistres souvenirs enflaient en sa mémoire, au point qu'il en lâcha un long instrument métallique, dont le bout était pourvu d'un crochet... Perdu dans ses rêveries, ou plutôt ses cauchemars, il n'y prêta nulle attention. Ce fut la voix d'Abael qui le sortit de sa torpeur...

"Passe moi la Croche, veux tu ?"

Iblis regarda dans le brasier. La Croche était à la limite de l'incandescence. Cependant, il plongea la main dans les flammes furieuses, et en extirpa l'instrument brûlant.

"La Croche... Voila ! Abael, mets les gants. Toi, tu pourrais te brûler..."
"Merci..."

De nouveau, l'envie lui prit d'enfoncer cette tige hélicoïdale dans la jugulaire du justicier géant. Que son visage était semblable à celui de Kaïn... Et Iblis ne pouvait pas ne pas y songer... Assailli par le poids, trop lourd, de sa mémoire, il s'éloigna de la scène de dépeçage humain qui se tenait devant lui. A son cou pendait un médaillon de pierre, figurant une femme. Iblis regardait vers le Sud...

"Diama... Je suis désolé. Si j'avais su ce que j'étais, peut-être..."

Une larme rouge sang coulait sur sa joue tandis qu'il repensait à sa femme. De nouveau, une déferlante de souvenirs manqua de lui faire perdre connaissance. Il se tenait la tête au niveau des tempes et se balançait à droite à gauche...

"Laissez moi ! LAISSEZ MOI ! SORTEZ DE MA TÊTE !"

Alerté, Abael laissa choir le tas sanglant dont il venait d'achever l'interrogatoire. Il redressa sa charpente impressionnante et posa la main sur l'épaule d'Iblis...

"Là, l'ami. Tout va bien... Il m'a tout raconté. Avec ses renseignements, nous devrions pouvoir trouver Kaïn d'ici deux jours... Deux jours, et tout cela sera réglé. Allons Iblis, viens. Restaurons-nous quelque peu. Il va bientôt faire nuit et si d'aucuns voyaient ce feu, ils n'auraient nul mal à nous trouver..."
"Oui Abael, tu as sans doute raison..."

Profitant des dernières lueurs du jours, Abael et Iblis firent griller sur le feu quelques saucisses bien grasses, du lard et un peu de fromage. Ils avaient même du vin de Véran. Abael siffla en révélant la bouteille...

"Et bien ! Vin de Guy, année 13001... Tu sais mon brave Iblis, ça a parfois du bon de dépouiller les Bestarius."

Il déboucha la bouteille, emplit du précieux liquide une bolée de terre cuite et la tendit à Iblis...

"Tu vas voir, ami, un nectar, un véritable délice !"

Iblis saisit le récipient et en savoura le contenu. C'était exact, ce vin était bon. Très bon même. Et très fort aussi. Abael n'avait pas eu le temps de se servir qu'Iblis tendait déjà sa bolée...

"Encore !"

Un peu surpris, Abael obtempéra...

"Et bien Iblis, je vois que tu apprécies le goût du vin. Si un jour nous en avons l'occasion, je te ferais gouter d'un vin vert qu'on trouve non loin de Véran, à Eibina. Tu m'en diras des nouvelles..."

Le géant contempla ensuite le soleil. Il était pratiquement couché derrière les montagnes, et la lune, déjà, était sortie prendre l'air de la nuit...

"Iblis, je crains que les lieux ne soient pas surs... Nous devrions monter la garde à tour de rôle. J'ai entendu parler de très gros fauves, vivant dans ces montagnes. La nuit, ils égorgeraient l'homme qui dort. Je prends le premier..."
"NON !"
"Mais enfin, Iblis, il faut que tu dormes, tu as..."
"J'AI DIT NON !"
"D'accord, tu prends le premier. Mais ce serait pas mal que tu dormes un peu. Tu vas t' effondrer si tu continue à refuser le sommeil. Dix jours que tu n'as pas fermé l'oeil. Je n'aimerais pas que tu tombes dans les pommes en pleine bataille..."
"Abael, je sais ce que j'ai à faire..."
"Comme tu veux. Bon... Il doit rester du rhum dans la gourde là. Si le coeur t'en dis, ne te gêne pas mon ami..."

Iblis ramassa la gourde, en ôta le bouchon et la renifla... Du Rhum, sans aucun doute...

"Abael... Merci."
"Bah, y'a pas de quoi... A tout à l'heure Iblis..."

La nuit était tombée, et Iblis se retrouvait seul. Il n'avait que peu de chances d'être agressé par quelque bête fauve. Les ronflements d'Abael était si puissants qu'il ne comprenait pas comment il parvenait à ne pas se réveiller. Quoi qu'il en soit, aucun prédateur ne se serait risqué à attaquer un adversaire grognant aussi fort.

Assis au coin du feu, Iblis méditait. Il essayait de noyer ses pensées dans les flammes, de bruler sa fatigue dans cette douce chaleur. Il jouait avec les dansantes flammèches, s'amusant à les modeler comme les enfants jouent à remuer l'eau...

Dans de trop rares moments, comme celui-ci, il ne pensait à rien. Mais qu'il regarde Abael, et c'était Kaïn qu'il voyait. Kaïn, que ce nom mille fois, dix mille fois soit damné ! Ce chien des Titans, cet esclave d'Ortho, cet anathème... Il avait pris la vie de tous les habitants de Thumsyb, son village naguère si paisible. Aujourd'hui, il ne figure plus même sur les cartes, rasé par ces architectes du Chaos, ces semeurs de Haine... Les idolâtres du dément, les Bestarius, serviteurs dévoués de Kaïn ! Abael enfin, se releva...

"Il te reste du rhum, Iblis ?"
"..."
"Bah, ce n'est pas grave. Jai roupillé bien comme il faut. A toi maintenant..."
"NON !"
"Tu dormiras quoi qu'il arrive. Il le faut..."
"Laisse moi en paix. Et si tu t'approches encore, il t'en cuira!"

Iblis avait sorti un Kriss de sa tunique...

"Iblis, tu en as combien cachés comme ça ? Je peux t'assurer que c'est inutile. Tu crois que tu n'as bu que du Rhum?..."

Iblis, en effet, se sentait pris d'une lourde torpeur. Sa main tremblait.

"Comment ? Qu'est-ce-que tu... veux dire... Tu m'as... drogué ?"
"L'herbe des songes. Un anti-douleur qui bouilli, fait un puissannt somnifère. Mais ses effets sont retardés pa l'alcool. Quoi que tu fasses, tu vas enfin dormir mon ami..."
"Je... Je vais te crever !"

Abael n'eut guère de difficultés à immobiliser Iblis, abruti par les drogues. Enfin, celui-ci s'assoupit, épuisé...

"Tu verras mon ami. Tu me remercieras demain, quand tu te sentiras plus en forme..."

Et Abael se posa sur un rocher, guettant de ses yeux perçants tout mouvement hostile. Et pendant ce temps, Iblis rêvait.

Des cavaliers, maquillés de cendres humaines, les cheveux dégoutant de sang humain, venaient d'investir Thumsyb. A leur tête, un homme véritablement effrayant. Si la folie devait un jour s'incarner, ce serait en lui. Kaïn. Mais ce serait alors quelque forme de folie furieuse, de celles qu'on compare à la rage...

Son épée fauchait tout sur son passage, et les morceaux épars de ses victimes retombaient au sol avec des bruits mous. Le pire était sans doute ce rire, ce rire hideux... Pendant toute la bataille, le dément riait à s'en déboiter la mâchoire ! Jamais Iblis n'avait assisté à scène moins humaine, plus monstrueuse, plus... Titanide ?

Mais c'était mal connaitre le raffinement extrême de Kaïn, surtout en ce qui concerne la souffrance... Iblis ne se souvenait plus des circonstances de sa capture. S'était-il vaillamment battu ? Ou avait-il fui sans honneur ? Il ne le savait pas. Il avait juste souvenir d'un choc à l'arrière du crâne. Aussi mit-il du temps à comprendre ce qu'il se passait lorsqu'il reçut en plein visage de l'alcool à bruler et une huile noire. Les yeux lui piquaient horriblement, mais Iblis put voir à ses côtés, sa femme. Elle pendait, inerte, enchainée comme lui à un poteau. Ce n'est que lorsque la morsure de l'alcool commença à s'estomper qu'il comprit. Ils étaient tous ligotés sur un tas de bois sec, prêt à s'enflammer à la moindre flamme. S'ils avaient été aspergés d'alcool et d'huile, ça n'était sans doute pas pour rien... La cinquantaine de survivants était attachée aux arbres ; la mise à feu fut d'une rapidité inouïe. Les étoffes, soies et autres ornements textiles furent les premiers à brûler, avec les cheveux. Et au fond de lui, Iblis se haït de se trouver à apprécier l'odeur de viande grillée qui émanait de ses amis en feu...

Il aurait espéré que sa femme soit déjà morte, mais l'étreinte mortelle des flammes la réveilla une dernière fois. Elle se débattit comme une diablesse ; mais elle avait beau faire, on ne lutte pas sans arme contre les Enfers... Les yeux des villageois étaient pleins de frayeur, et tous regardaient vers Iblis. Mais il brûlait, comme tout le monde, ses vêtements du moins... Par quel miracle, on ne le sut jamais ; mais Iblis était invulnérable au feu. Les derniers regards du Maire, de Diama, des voisins, semblaient pleins de reproches, mais Iblis n'en avait plus cure. Sa vie était là, gisant à ses côtés, ses os s'effritant et devenant poussière. Et les larmes, rouge sang, maculaient le visage du lanceur de lames.

"Pourquoi ? Pourquoi ces flammes ne me dévorent-elles pas ? Diama..."

Il revivait cette scène cauchemardesque, une scène qu'il ne voulait plus revoir. C'était pour cela qu'il s'interdisait de penser, de dormir, de rêver... Pour ne pas affronter son impuissance, alors que sa femme se changeait en un tas noirâtre et informe à ses côtés... Les Bestarius avaient déjà quitté le village, abandonnant les habitants à cette fournaise. Ils ne savaient rien du prodige qui s'accomplissait en cet Enfer... Puis Iblis sombra dans l'inconscience, asphyxié par la fumée de ses proches. Il se réveilla de nuit. Seul, nu, étendu sur un tas de cendres et d'ossements calcinés. Les braises rougeoyaient encore. Il était recouvert de suie sombre, qu'une pluie cruelle changeait en boue...

C'est ainsi qu'il y a dix jours, Abael l'avait trouvé recroquevillé dans la poussière de son village. Et il avait d'ailleurs eu toutes les peines du monde à expliquer au rescapé qu'il n'était pas Kaïn, et qu'au contraire, il aspirait à sa fin...

Le soleil était déjà bien haut quand Iblis sortit de ce mauvais songe. Et il n'eut immédiatement plus qu'une idée en tête, tuer Abael pour l'avoir forcé à revivre ce dramatique instant. Mais Abael était d'une force bien supérieure à la sienne... Il n'eut aucun mal à le plaquer au sol et à lui dire de se calmer...

"Maintenant Iblis, tu te calmes! Ou je t'allonge! !"
"Je vais te tuer !"

Un magistral coup de poing rencontra les côtes d'Iblis, le pliant en deux. Il avait le souffle coupé et ne faisait pas le poids...

"Cette haine, Iblis... Cette rage qui suinte de tes souvenirs. Ne la laisse pas t'écraser. Retourne-la contre celui qui te l'a inspirée..."
"Tu ne sais pas ce que c'est, toi !"
"Tu crois que j'ignore ce qu'est un cauchemar ? Tu ne sais rien de moi, mon ami... Mais tant que Kaïn vivra, d'autres comme nous perdront tout ce qu'ils ont. D'autres comme nous auront peur de s'endormir. Depuis que Kaïn a tué mes parents, je ne fais plus que deux rêves, l'un mauvais et l'autre qui me remplit de joie..."

Iblis ne comprenait pas.

"Comment peux-tu éprouver quelque joie que ce soit ? Toi !"
"Parce que, Iblis, si dans mon cauchemar je revois ma famille étendue au sol, que je ressens cette lame maudite dans ma poitrine..."

Il porta la main à la longue cicatrice qui lui zébrait le torse...

"Même si je me sens alors plus faible qu'un faon qui vient de naître... je fais parfois un songe plus agréable."
"Lequel ? Quel genre de rêve fais-tu?"
"Tu ne le devine pas?"
"Non..."

Abael prit sa respiration, puis libéra les poignets d'Iblis. Il se releva, avant de répondre.

"Je rêve du jour prochain, Iblis. De ce jour où j'arracherais la tête de mon frère. Du jour où Kaïn cessera de semer la mort partout où se pose son regard. Ami, concentre-toi sur cette vision. Celle d'un monde où Ortho aurait perdu son Héraut. Un monde où l'odeur des corps calcinés n'empuantirait plus l'air..."

Iblis resta stupéfait.

"Abael... Ce que tu vis... ça n'est pas une vie..."
"Je n'ai jamais prétendu le contraire. Mais peu m'importe de rejoindre mes ancêtres, si j'y emporte Kaïn."

Les deux hommes n'échangèrent plus un mot de la matinée. Ils préparèrent leurs affaires, mangèrent ce qu'il leur restait du repas de la veille et s'en furent en direction d'Erzel.

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