Contes et légendes d'Océania


La chute des Saâmes, ou comment les Vandales naquirent des flammes d'Avgavaï

Une ancienne légende, mille et mille fois contée, affirme qu'il fut un âge où les neiges du nord d'Océania servaient d'écrin à une civilisation aujourd'hui disparue. En effet, sous la voûte protectrice d'une calotte glaciaire monstrueuse s'étendaient à perte de vue champs verdoyants et prairies fertiles, plus loin, bien plus loin que l'oeil ne pouvait le voir. Et c'est là, dans la lumière irisée d'un ciel qui jamais ne fut libre, que florissait et prospérait le peuple Saâme.

"Comment cela fut-il possible ?" n'est pas la question, et "pourquoi" serait chose futile ; car à chacune de ces interrogation, une seule réponse possible : les Fondateurs l'avaient voulu ainsi. Là-bas, loin au Nord de toutes choses, les Dieux bienveillants avaient dispensés leurs bienfaits sur ce peuple caché. En effet, au lendemain de la dernière Bataille qui les opposèrent aux Titans, c'est sur cet endroit que se posa le regard affaibli des Fondateurs, sur ce dernier lieu terrestre à n'avoir pas été corrompu par le déluge de haine et de furie que le Combat formidable avait fait pleuvoir sur la Terre. Et ils voulurent préserver cette innocence, en offrant à un petit groupe de pré-humains la chance de peupler ce lieu caché et d'y fonder ce qui deviendrait la civilisation Saâme.

Oui, je vous parle d'un temps où les pères des pères de nos pères n'avaient pas encore poussé leur premier vagissement, pas davantage leurs pères eux-mêmes. Un temps où la guerre entre les Dieux et les Titans n'avait pas encore éteint ses derniers brasiers, bien qu'elle fut officiellement terminée depuis plusieurs siècles. En somme, un temps bien lointain... Mais la parole des Hommes en garde vivante et claire la mémoire, une mémoire dont la vérité renait, toujours intacte, à chaque veillée et dans les yeux brillants de foi des enfants.

Car jamais, jamais, ne doit se perdre ou se ternir le souvenir de la Chute des Saâmes...

Or donc en ce temps-là, ces peuplades cachées du Nord vivaient dans un bonheur si parfait que notre époque troublée peine à le concevoir. Ces enfants chéris des Fondateurs ne connaissaient ni la peine ni l'effort : à portée de leur main, les fruits les plus succulents et les blés dorés étendaient leur manne glorieuse, bannissant de par leur simple présence l'idée de la traque et de la mort de créatures terrestres. Jamais, de mémoire de conteur, le sang n'avait souillé cette terre d'opulence où bêtes et Hommes vivaient sans se craindre. Jamais l'âpre maladie n'avait étendu ses ailes sombres sur ces peuples des premiers âges, puisqu'ils avaient reçu en partage la connaissance des plantes qui guérissent le corps et l'âme. Et la vie étirait ainsi son flot tranquille, parmi ces Hommes à qui avait été offert l'Eden sur la Terre.

Mais las, jamais le bonheur absolu n'a donné aux humains la sagesse, moins encore l'humilité... Certes, les Saâmes révéraient les Fondateurs ; mais peu à peu, leur foi se changeait en arrogance... A travers le nom de leurs divinités, c'était l'image de sa propre grandeur que louait ce peuple inconscient. En cet endroit où la marque du pouvoir divin se lisait partout où on posait le regard, les Saâmes célébraient leur propre élévation en des offrandes que ne sertissait nulle soumission. Et leurs fêtes, par trop grandioses, n'honoraient pas tant les Fondateurs que leur propre puissance. Car de quel amour pour leurs dieux peuvent bien être capables ceux qui n'ont rien à désirer ? Comment chérir pour elle-même leur invisible et muette présence, quand nulle espérance d'une vie meilleure n'allume sa flamme fragile dans le coeur des êtres ? Oui, ces terres épargnées par le malheur, ces terres à qui la colère des dieux était inconnue, avaient perdu la conscience de leur chance ; et ainsi, le respect de ceux qui leur avaient offert la perfection faite monde...

Comment les en blâmer ? La culture des Saâmes était aussi vaste que le ciel, leur science aussi profonde que les mers, leurs arts aussi fertiles que la terre douce. Rien ne pouvait surpasser la sagesse de cette civilisation préservée, à l'apogée de sa grandeur. Rien, sinon la puissance de l'autre monde.

Et cela, les Saâmes l'avaient oublié...

Les mots, propres à évoquer les avanies de l'humanité, sont vains pourtant à dépeindre l'amertume et la douleur de ceux qui gouvernent à son existence. Trahis une fois de plus, les Fondateurs détournèrent leur regard des terres gelées du Nord et du trésor qu'elles dissimulaient en leur sein. Certains affirment que l'hérésie croissante des Saâmes n'en fut pas la seule raison, et que l'abandon dont ils souffrirent alors n'avait pour cause que le retrait des dieux, grandement affaiblis, de toutes les affaires terrestres. Difficile de décider laquelle des deux versions est la plus exacte, ou même dans quelle mesure toutes deux s'entremêlent sans doute pour donner naissance à une vérité plus complexe.

Ce qui ne peut être mis en doute en est la conséquence : en moins d'une génération, ce peuple fut annihilé en un chaos sanglant.

Car il est un regard qui jamais ne s'était détourné des Saâmes, un regard pervers, qui mesurait avec une attention prédatrice combien il serait facile de contrôler ces étendues glacées, et d'en faire l'arme qui détruirait l'humanité... Ce regard était celui d'Avgavaï. Avgavaï l'Ailé, père des Flammes, enfant de l'Air, Titan indompté et agent insoumis du Chaos. Avgavaï qui, une fois la Guerre finie et ses pouvoirs grandement diminués, refusa de se réfugier dans les entrailles du monde et préféra poursuivre son oeuvre destructrice à la surface même d'Océania. Avgavaï qui vit dans les neiges du Nord le potentiel d'une vague gigantesque qui submergerait Océania et noierait dans les flots ravageurs tout ce qui subsistait du pouvoir des Fondateurs.

Ainsi, quand il vit que l'influence des Dieux sur les Terres Glacées s'était amoindrie, Avgavaï prit son envol et fondit tel un souffle de malheur sur ce lieu d'innocence préservée...

Bien des Saâmes moururent quand, sous l'aura néfaste du Titan, les premières neiges fondirent, abattant sur ce monde le poids de son ciel glacé, effaçant en quelques lunes ce que tant de siècles avaient construit. Davantage encore ne surent pas survivre à la rudesse extrême du monde du dehors : au froid, à la faim, qui leur étaient jusqu'à lors inconnus ; aux prédateurs faméliques qui répandirent leur sang sur la blancheur gelée. Ils étaient comme des enfants, affolés, meurtris, incapables de comprendre pourquoi ce monde qui était le leur tombait en ruines sous leurs pas. Et les yeux immenses et fixes de leurs cadavres raidis reflétaient tout le vide de ce ciel trop vaste, trop froid, impitoyable...

Mais le pire était encore à venir. Car bientôt, les forces d'Avgavaï, déjà durement éprouvées par la bataille à peine achevée contre les Fondateurs, commencèrent à décroître ; et les glaces, lentement, regagnèrent du terrain sur le domaine brûlant du Titan. Alors celui-ci comprit qu'il avait besoin d'alliés pour soumettre pleinement cette terre en laquelle tout lui résistait. Et ce qui aurait pu marquer pour les Saâmes une aube nouvelle et plus clémente fut en réalité une pierre de plus apportée au tertre de leur chute... Car Avgavaï fit appel aux plus terrifiants de ses alliés ; il en appela aux Géants, enfants monstrueux du Titan Naardwak, les plus frustres peut-être d'entre les Titanides. Et les Géants répondirent à son appel...

Ces créatures devaient certes être d'une rare bêtise pour ne pas comprendre que l'apogée d'Avgavaï marquerait pour elles l'anéantissement de leur royaume neigeux dans un creuset de lave en fusion. Mais leur incroyable soif de destruction, doublée d'une haine absolue envers l'humanité, en faisaient les armes idéales pour arracher à ce territoire ce qu'il lui restait d'âme. Or une partie de celle-ci résidait dans les rares survivants Saâmes, grelottants et se terrant dans les cavernes glacées. En effet, ces pauvres êtres déchus étaient nés de la volonté des Fondateurs ; quelle que put être leur faiblesse actuelle, ils restaient donc les dépositaires d'un antique pouvoir et de ce fait... le seul espoir des terres glacées. Tant que tous ne seraient pas morts, tant qu'une dernière étincelle de vie subsisterait en l'un d'entre eux, nul ne contrôlerait les neiges du Nord.

Et cela, Avgavaï le savait bien...

Bernés par les promesses de domination du Titan, les êtres gigantesques descendirent des sommets où ils se tenaient à l'écart des Hommes et fondirent sur le pays des Glaces, en une monstrueuse lie dévastatrice. Animés par une volonté plus forte que la leur, ils traquèrent et exterminèrent méthodiquement le peuple Saâme. Et une fois de plus, le sang coula, pourpre, sur la neige et la peau bleu pâle des Géants...

Ce fut une ère de ténèbres qui s'abattit sur le pays Blanc. Car avec les Géants marchaient le froid et la nuit, le blizzard et les loups, la désolation et la destruction. Un à un, les Saâmes vaincus fermèrent les yeux sur une vie qu'ils ne désiraient plus. Un à un, ils se laissèrent assassiner par les Géants, leur volonté de survivre noyée une gangue de désespérance. Et le pouvoir d'Avgavaï croissait lentement, tandis que disparaissait ce peuple qui avait été aimé des Dieux...

Pourtant, tous ne cédèrent pas au désespoir qui corrompait peu à peu les Saâmes : un petit groupe de survivants se jeta dans la bataille pour sa survie. Etaient-ils plus forts -ou plus fous- que les autres ? Etaient-ils animés par la volonté des Fondateurs, horrifiés du souffle de destruction répandu par Avgavaï ? Etait-ce le destin ou simplement la force de l'âme humaine ? Nul ne pourra jamais en juger avec certitude. Toujours est-il que ces combattants de la vie résistèrent plus longtemps que leurs frères, galvanisés par les chants et la volonté de fer de leur meneuse, une femme nommée Shiya. D'elle, on ne sait que peu de choses, sinon qu'elle était sans doute de sang princier et qu'elle et sa fillette âgée de sept années insufflaient au petit groupe la foi en un avenir meilleur qui les portait en avant et donnait un sens à leur fuite incessante de grotte en grotte, d'abri en abri.

Mais cette lutte semblait être vaine, et les survivants étaient chaque fois repoussés plus loin dans les terres gelées par le harcèlement méthodique et cruel des Géants... C'est ainsi qu'au terme d'une fuite longue et éreintante, les rares rescapés se trouvèrent à bout de forces. Devant eux s'étendaient les steppes gelées où nul abri ne pouvait exister ; et derrière, le pas sourd des Titanides se faisait déjà entendre. Un à un, les compagnons de Shiya tombèrent ; morts pour certains, anéantis par le froid et le découragement pour la plupart. La mère, et l'enfant qu'elle portait dans ses bras, restèrent seules dans le blizzard qui leur écorchait la peau et les aveuglait. Déjà, la torpeur glaciale de la mort s'emparait de Shiya, ralentissant ses mouvements, insufflant dans son esprit une langueur si tentante...

Alors la Saâme, en un dernier sursaut de volonté, arqua son corps vers le ciel blanc et vide et jeta toutes les forces de son âme rebelle en une dernière prière aux dieux Fondateurs. Ce qu'elle leur cria alors ne franchit jamais ses lèvres bleuies. Si elle hurla silencieusement son incompréhension quant à la faute qui leur valait pareil châtiment, si elle en appela à l'amour de ceux qui l'avaient créée, si elle implora la vie pour son enfant innocente, on ne peut que le supposer.

Mais Shiya fut entendue.

Une à une, d'étranges créatures fantomatiques émergèrent du blizzard et firent cercle autour d'elle. Ils avançaient comme dans un rêve, se mouvant silencieusement, avec grâce et puissance. Jamais Shiya, éperdue d'admiration, n'avait vu pareils êtres que ces quadrupèdes aux longues jambes fines, dont la crinière couleur d'albâtre flottait au vent. Alors, comme obéissant à un signal, l'une des créatures s'avança et pencha vers elle son long cou. Elle avait des yeux immenses, dans la douceur sombre desquels la jeune femme puisa un peu de réconfort. En un geste ultime, Shiya tendit vers elle son enfant, l'arrachant à l'abri précaire de sa chaleur. Les naseaux veloutés de l'être mystérieux effleurèrent le front la fillette à demi morte de froid. Et soudain les yeux de l'enfant se rouvrirent, emplis d'un calme et d'une sérénité impossibles. Le regard qu'elle échangea avec la créature qui lui faisait face fut long et chargé des mystères d'une reconnaissance absolue. Alors la bête s'agenouilla et la fillette, comme hypnotisée, quitta les bras de sa mère pour monter sur son dos. Une à une, les créatures fantomatiques s'enfoncèrent dans le blizzard, emportant avec elles leur précieux fardeau. Un sourire flottant sur ses lèvres bleuies, Shiya s'effondra au sol, morte, alors que les Géants arrivaient près d'elle.

En cet instant où périssait la dernière Saâme, les Fondateurs offraient le cheval à la première des Vandales. Ou peut-être serait-il plus juste de dire que les deux races se donnaient l'une à l'autre, tant sont proches les âmes des Vandales et de leurs montures...

Ainsi, tandis que la glace se désagrégeait autour d'eux en un terrifiant spectacle d'Apocalypse, l'enfant et sa harde fantomatique fuirent sans retour le pays des Neiges. Et ce ne fut que quand ils atteignirent enfin la terre ferme des steppes qu'ils se retournèrent et virent s'effondrer derrière eux la gangue gelée qui recouvrait jusqu'à lors la mer du Nord. C'est ainsi que fut créé le détroit séparant à jamais le continent Blanc de celui d'Orlattis. On raconte que quelques géants survécurent à la débâcle en se réfugiant plus loin encore au Nord du pays des Glaces et y fondèrent à nouveau des tribus, mais nombre d'entre eux moururent en ce jour où s'étendait le pouvoir du Titan. Un pouvoir qui aurait dû être sans limites...

Mais il ne le fut pas. Avgavaï fut repoussé par les hordes de créatures plus faibles que lui, créatures mutantes dirigées par l'esprit des Fondateurs. Les Géants qu'il avait trahis ne virent pas à son aide. Et on raconte que le Titan vaincu se demande encore pourquoi, alors que la dernière Saâme avait péri, l'âme des Glaces ne tomba jamais...

La petite, qui avait pris le nom de Saâ en mémoire de ses ancêtres, fut élevée par la harde blanche dans les steppes s'étendant au nord de la ville qu'on appelle aujourd'hui Toundra. Elle grandit en force et en beauté, devenant une cavalière insurpassable et une combattante aussi aguerrie que les Saâmes avaient été pacifiques et doux. Et à l'âge de vingt ans, elle retourna aux Hommes et s'unit à un Nomade des steppes. Leurs deux sangs mêlés donnèrent naissance au peuple Vandale.

De Saâ, leur mère à tous, les Vandales tiennent cette chevelure d'un blond presque blanc et ces yeux si pâles qui portent encore la marque des neiges. Mais ils ont aussi en eux la force de ce sang uni aux chevaux par des liens ancestraux, tout comme ils sont encore porteurs de l'étincelle Saâme dont la survivance têtue, autant que les Fondateurs, vainquit Avgavaï. Rebelles par essence, les Vandales sont de farouches guerriers et de remarquables pillards. Quant à leur allégeance envers les Fondateurs, elle est teintée d'une méfiance atavique, issue de la mémoire de ce qu'ils appellent l'Abandon. Ainsi, il arrive parfois que certains Vandales choisissent de servir les Titans, par rébellion envers ceux qui les privèrent jadis de leur Eden sous les glaces.

Pourtant, il n'en reste pas moins que le peuple Vandale a en lui la force ancienne des Saâmes, une force qui s'opposa sans même en avoir conscience à l'un des plus puissants Titans. Dès lors, qui sait ce que pourrait découvrir un des Cavaliers en retournant sur les terres gelées qui furent le berceau de ses ancêtres...

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